Les frères Karamazov- Le prix de la Suprême Harmonie

Publié le par B'elana


FRAGMENTS DE LA TIRADE D'IVAN À ALIOCHA AU SUJET DE L'EXISTENCE DE DIEU : IL REFUSE LE PRIX À PAYER POUR RÉALISER SA SUPRÊME HARMONIE, DANS LAQUELLE L'ÊTRE HUMAIN PROJÈTE SA FOI ET SON ESPÉRANCE EN UN AVENIR OÙ TRIOMPHE LA VÉRITÉ.
 
- J'avoue humblement n'avoir aucune disposition pour résoudre de tels problèmes , j'ai l'esprit euclidien, terrestre, aussi est-ce à nous de juger de ce qui n'est pas de ce monde ? À toi aussi, je te conseille de ne jamais y penser, ami Aliocha, et surtout au sujet de Dieu : existe-t-il ou non ? Toutes ces questions ne sont absolument pas faites pour un esprit créé avec la seule notion de trois dimensions. Ainsi donc, j'accepte Dieu, et non seulement volontiers mais, qui plus est, j'admets aussi sa sagesse et son dessein, absolument inconnus de nous, je crois à l'ordre, au sens de la vie, je crois à l'éternelle harmonie dans la quelle il paraît que nous devons nous fondre tous, je crois au Verbe où tend l'univers et qui lui-même "est en Dieu" et qui lui-même est Dieu, enfin à tout le reste, et ainsi de suite, et coetera à l'infini. Il semble bien que je sois dans la bonne voie, n'est-ce pas ?

Eh bien, figure-toi donc qu'en dernière analyse, cet univers de Dieu je le refuse, je sais qu'il existe, seulement je ne l'accepte pas. Ce n'est pas Dieu que je refuse, comprends-le bien, c'est l'univers créé par lui, c'est l'univers de Dieu que je n'accepte pas et que je me refuse à accepter.

Je fais une réserve : je suis persuadé comme un enfant que les souffrances se cicatriseront et s'effaceront, que tout l'humiliant comique des contradictions humaines s'évanouira  comme un pitoyable mirage, comme une sordide invention du cerveau euclidien de l'homme, faible et petit comme l'atome ; qu'enfin, dans la finale universelle, au moment de l'harmonie universelle, quelque chose de si grand adviendra et se révélera que cela comblera tous les coeurs, que cela suffira pour l'apaisement de toutes les indignations, pour le rachat de tous les crimes des hommes, de tout leur sang répandu par leur faute, que cela suffira non seulement pour pouvoir pardonner, mais aussi pour justifier tout ce qui s'est passé sur terre - soit, que tout cela se réalise et advienne, mais moi je ne l'accepte et je ne veux pas l'accepter ! 

[ ... ] SUITE DU FRAGMENT :

Pendant qu'il est encore temps, je me hâte de me prémunir, c'est pourquoi je refuse tout net la suprême harmonie. Elle ne vaut pas une seule petite  larme ne serait-ce que de cet enfant supplicié  qui se frappait la poitrine de son petit poing et, dans le nauséabond réduit, priait le "bon Dieu" avec ses larmes demeurées sans rachat ! Elle ne la vaut pas car ces larmes sont demeurées sans rachat. Elles doivent être rachetées, sinon il ne peut y avoir d'harmonie.

Mais par quoi les racheter, par quoi? Est-ce possible? Serait-ce vraiment en les vengeant? Mais qu'ai-je besoin de cette vengeance, qu'ai-je besoin de l'enfer si ceux-là sont déjà suppliciés? Et qu'est donc cette harmonie s'il y a l'enfer: je veux pardonner et je veux embrasser, je ne veux plus qu'on souffre.

ET SI LES SOUFFRANCES DES ENFANTS ONT SERVI À COMPLÉTER LA SOMME DES SOUFFRANCES NÉCESSAIRES À GAGNER LA VÉRITÉ, alors j'affirme d'avance que LA VÉRITÉ TOUTE ENTIÈRE ne vaut pas un TEL PRIX. Je ne veux pas , enfin, que la mère embrasse le bourreau qui a fait déchiqueter son fils par les chiens ! Elle ne doit pas lui pardonner ! Si elle le veut, qu'elle pardonne pour elle-même, qu'elle pardonne au bourreau son immense souffrance de mère ; mais les souffrances de son enfant lacéré, elle n'a pas le droit de les pardonner, elle ne doit pas pardonner au bourreau, quand même l'enfant, lui pardonnerait !

Et s'il en est ainsi, s'ils n'ont pas le droit de pardonner, OÙ DONC EST L'HARMONIE ? Est-il au monde un être qui puisse pardonner et qui en ait le droit ? JE NE VEUX PAS DE L'HARMONIE, JE N'EN VEUX PAS PAR AMOUR DE L'HUMANITÉ. J'AIME MIEUX RESTER AVEC LES SOUFFRANCES NON VENGÉES. Il vaut mieux que je reste avec ma souffrance non vengée et mon indignation inapaisé, quand même j'aurais tort.


AU DEMEURANT, ON A ESTIMÉ L'HARMONIE TROP CHER, IL N'EST NULLEMENT DANS MES MOYENS DE PAYER UN TEL PRIX POUR L'ENTRÉE. C'est pour quoi je me hâte de rendre mon billet d'entrée. Et pour peu que je sois un homme honnête, il est de mon devoir de le rendre le plus longtemps possible à l'avance. C'EST CE QUE JE FAIS.

CE N'EST PAS DIEU QUE JE N'ACCEPTE PAS, ALIOCHA, JE NE FAIS QUE TRÈS RESPECTUEUSEMENT LUI RENDRE SON BILLET.





Publié dans Dostoievski

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S
Dostoïevski, une de mes impardonnable lacunes. Je reviendrais me laver de ce péché ici
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T
Je manque de temps pour rajouter d'autres extraits qui m'ont marquée... et revisiter du même coup quelques uns de ses livres que j'ai tant aimés. <br /> À suivre...<br />  
M
Il y a une faute de frappe... "avex"... les souffrances non vengées.... à moins que tu parles du Javex.... ;-)Bisous.
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M
euclédien de que cé ?;-)
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