Miaou !

Publié le par Tamara



AIMONS-NOUS
COMME SI,
 
NOTRE AMOUR
 DEVAIT DURER
CENT ANS...

...AIME-MOI,
DEMAIN

COMME SI
L'UN ET L'AUTRE
DEVAIT PARTIR,
HIER.

Petit coeur, de miaou.

***

VARVARA ALEXÉÏEVNA :

P.-S. Mon âme est si pleine, si pleine de larmes en cet instant... Ces pleurs m'oppressent, me déchirent ! Adieu, Seigneur, que c'est triste !
Souvenez-vous, souvenez-vous de votre pauvre Varinka !



MACAIRE DIÉVOUCHKINE :

Varinka, mon amie, mon petit oiseau, mon trésor ! On vous emporte, vous partez ! Ah ! ils feraient mieux m'arracher le coeur de la poitrine que de vous enlever à moi ! Comment acceptez-vous cela ?... Vous pleurez et vous partez ? Je viens de recevoir à l'instant votre billet, il est tout taché de larmes. Donc vous partez à contrecoeur; donc, on vous emmène de force; donc vous acez pitié de moi, donc, vous m'aimez ! Et comment, avec qui allez-vous vivre maintenant ? Là-bas, pour votre petit coeur ce sera la tristesse, la nausée, le froid. L'ennui le consumera, le chagrin le déchirera, vous mourez, on vous déposera dans la terre humide; il n'y aura personne pour vous pleurer ! Monsieur Bykov sera tout le temps à chasser le lièvre... Ah ! ma petite amie, ma petite amie ! À quoi donc vous êtes-vous résolue, comment avez-vous pu prendre une pareille décision ? Qu'avez-vous fait, qu'avez-vous fait de vous-même ? Là-bas, ils vous mèneront à la tombe; ils vous feront mourir, mon petit ange. Car vous êtes fragile comme du duvet, mon amie !

Et moi, où étais-je ? Où avais-je les yeux, imbécile que je suis ! Je voyais une enfant qui avait des lubies, qui avait simplement la migraine. Au lieu d'agir simplement... non... comme un fieffé imbécile, je ne pensais à rien, ne voyais rien, comme si j'avais raison, comme si cela ne me concernait pas et par-dessus le marché je courais un falbala !... Non, Varinka, je vais me lever; je serai peut-être rétabli demain, aussi je vais me lever !... Je vais me jeter sous les roues de votre voiture plutôt que de vous laisser partir ! C'est vrai, à quoi cela ressemble-t-il ? De quel droit tout cela s'accomplit-il ? Je partirai avec vous, je courrai derrière votre voiture. Si vous ne m'emmenez pas, je courrai de toutes mes forces, jusqu'à en perdre le souffle.

Savez-vous seulement où vous allez, ma petite amie ? Peut-être ne le savez-vous pas, aussi demandez-le moi ! C'est la steppe, ma chérie, la steppe toute nue; nue comme la paume de ma main ! Là-bas on rencontre des paysannes obtuses, des moujiks incultes, des ivrognes. Maintenant les feuilles des arbres sont tombées, il y pleut, il y fait froid... et c'est là que vous allez ! Monsieur Bykov aura ses occupations là-bas; il aura les lièvres; mais vous ? Vous voulez être l'épouse d'un propriétaire, ma petite amie ? Mon chérubin, regardez-vous, est-ce que vous ressemblez à l'épouse d'un propriétaire ?... Comment peut-il en être ainsi, Varinka ! À qui vais-je écrire, ma petite amie ? Oui ! prenez cela en considération, demandez-vous : "A qui va-t-il écrire maintenant ?" Qui donc appellerai-je "ma petite amie", à qui donnerai-je ce nom affectueux ? Où vous retrouverai-je, mon ange ?

Je mourrai, Varinka, je mourrai, c'est certain; mon coeur ne supportera pas un pareil malheur ! Je vous aimais comme la lumière du jour, comme ma propre fille, j'aimais tout en vous, ma petite amie, ma chérie ! Je ne vivais que pour vous seule ! Si je travaillais, si je rédigeais des rapports, si j'allais et venais, si je me promenais, si je confiais mes observations au papier sous forme de lettres amicales, c'était parce que vous étiez là, en face, à côté de moi. Peut-être que vous l'ignoriez mais il en était précisément ainsi !

Écoutez-moi, ma petite amie, soyez juge, ma colombe, comment se peut-il que vous vous éloigniez de nous ? Ma chérie, mais vous ne pouvez pas partir, c'est impossible; c'est simplement, absolument imposible ! Vous voyez bien qu'il pleut, et vous êtes délicate, vous allez prendre froid. Votre voiture va prendre l'humidité, c'est certain; aussitôt que vous aurez franchi les portes de la ville, elle se brisera, comme par un fait exprès. Ici, à Pétesbourg on fait des voitures exécrables ! Je les connais, tous ces carrossiers; ils ne sont bons qu'à fabriquer des joujoux, à leur donner un certain genre; mais ce n'est pas solide, je vous jure qu'ils ne font pas du travail sérieux !

Ma petite amie, je vais me jeter à genoux devant monsieur Bykov; je lui expliquerai tout ! Et vous aussi; vous lui ferez entendre raison. Vous lui direz que vous restez, que vous ne pouvez pas partir !... Ah ! pourquoi n'a-t-il pas épousé cette marchande de Moscou ! il n'avait qu'à l'épouser ! Une marchande lui convient mieux; elle aurait bien mieux fait son affaire; je sais bien pourquoi ! Et moi je vous aurais gardée ici, près de moi. Qu'est-il pour vous, ce Byrkov ? Pourquoi soudain vous a-t-il paru aimable ? C'est peut-être parce qu'il vous achète tout le temps des falbalas, peut-être est-ce cela ? Mais qu'est-ce qu'un falbala ? À quoi bon un falbala ? Ce n'est qu'une frivolité ! Il s'agit ici de la vie d'un homme alors qu'un falbala n'est qu'un chiffon, un vulgaire chiffon. Aussitôt que j'aurai touché ma paye, je vous en achèterai moi, des falbalas, tout un tas, tout un monceau, ma petite amie. Je connais un petit magasin; laissez-moi seulement attendre mon traitement, mon chérubin !

Ah ! Seigneur, Seigneur ! Ainsi, c'est décidé, vous partez avec monsieur Bykov dans la steppe, vous partez sans retour ! Ah, ma petite amie !... Non, vous m'écrirez encore, vous me raconterez encore tout dans une petite lettre, et quand vous serez partie vous m'écrirez de là-bas. Autrement, mon ange des cieux, ce sera notre dernière lettre; or il est absolument impossible que ce soit notre dernière lettre. Comment, tout d'un coup, sans qu'on y puisse rien, la dernière ! Non, non, je continuerai à vous écrire et vous ferez de même... Surtout maintenant que mon style se forme...

AH ! MA CHÉRIE, QU'EST-CE QUE LE STYLE ? VOUS SAVEZ, JE NE SAIS MÊME PLUS CE QUE J'ÉCRIS, JE NE SAIS PLUS RIEN, JE NE ME RELIS MÊME PAS, JE NE ME CORRIGE PAS, J'ÉCRIS SEULEMENT POUR ÉCRIRE, POUR M'ENTRETENIR AVEC VOUS UN PEU PLUS LONGTEMPS... MA COLOMBE, MA CHÉRIE, MA PETITE AMIE !

DÉNOUEMENT, du roman
Les pauvres gens, de DOSTOÏEVSKI.

Publié dans Dostoievski

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